Le fansub, illégal ou légal ?

C’est l’histoire d’un terme qui cisaille les communautés autant qu’il les fédère et se présente aujourd’hui comme une bouillabaisse douteuse dont personne n’en devine les ingrédients.

Dans le  langage courant, adepte des raccourcis, le « fansub », contraction entre les termes anglophones « fan » et « subtitle », se présente comme le sous-titrage de séries étrangères par équipe, afin de les rendre disponibles au plus grand nombre.
Ainsi, s’annoncent d’un côté les fansubbers, Zorro moderne de l’édition d’œuvres lointaines convaincus de la nécessité du partage culturel au grand public et, de l’autre, les internautes avides de découvertes ou du suivi de leurs œuvres préférées avec le plus souvent un avantage de taille : la gratuité apparente du téléchargement.

Bon, dans les faits, ou plutôt dans le Droit, en réalité, le fansub, c’est mal.

L’illégalité absolue du fansub

Et bien, oui, parce qu’il se trouve qu’au-delà des idées reçues et débats sans sens qu’Internet s’offre trop souvent entre deux points Godwin, la propriété intellectuelle, cette mécréante, elle, est bien moins prompte à la négociation.

L’article L122-4 du Code de la propriété intellectuelle, ce capitaliste discriminatoire, dispose en effet que : « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. »

Autrement dit, le Code souligne en son papier et conscience, que nul fan quel qu’il soit, ne peut remplacer la traduction (ou la non-traduction), aussi à jeter soit-elle à son sens, autorisée par l’auteur.
En Droit, on appelle notamment cela le droit moral, le mécanisme qui permet de bénéficier de ce que l’on nomme plus ou moins à tort le droit de paternité, c’est-à-dire le droit au respect d’un lien de filiation entre l’auteur et son œuvre. L’auteur est alors le seul à pouvoir la modifier, en témoigne l’affaire du 28 Mai 1991, Huston, traitée par la Cour de Cassation, où les coréalisateurs du film « Quand la ville dort », créé en noir et blanc, avaient fait valoir à bon droit leur droit moral sur la société Turner, qui en établissait une version colorée.

Ainsi, parallèlement, l’insertion de sous-titres dans l’œuvre et son association à une équipe constituent par essence autant d’atteintes au droit moral de l’auteur.

Dans un deuxième temps, l’illégalité est aussi caractérisée par la diffusion de l’œuvre incrustée de sous-titres, qui s’apparente ici à de la contrefaçon. Et la contrefaçon, c’est-à-dire la reproduction, l’imitation, l’utilisation, totale ou partielle, d’une marque, d’un dessin, d’un brevet, d’un logiciel […] sans l’autorisation de son titulaire, c’est mal. Aussi. Plaçant le révolutionnaire sous une épée de Damoclès de trois ans et de 300.000 euros d’amende.
Et ici, heureusement ou malheureusement, pas d’exception de copie privée (Article L122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle).

Mais comme un bon encadrement juridique se fignole avec un bon encadrement spatio-temporel, le fait qu’une série étrangère n’ait pas encore fait l’objet d’une exploitation en France n’est pas une cause permettant d’échapper au cadre légal. Autant l’article 5 de la Convention de Berne que l’article L111-4 du Code de la Propriété Intellectuelle (Sous réserve d’une réciprocité des protections) viennent ainsi à protéger l’œuvre globe-trotter.
Plus encore, l’alinéa 2 de l’article L111-4 sus mentionné souligne qu’aucune atteinte ne peut être portée à l’intégrité ni à la paternité des œuvres, supprimant ainsi toute notion de frontière si chère aux réfractaires.

Dès lors, licence d’exploitation ou non, cette bulle d’inviolabilité juridique aurait simplement dû suffire aux envies fantasmées des robins des bois qui y voyaient là – et le plus souvent pourtant sur un fond juste – une grande culture commune à tous.

Mais les préjugés ont la rancune tenace et l’idée couleuvre d’une tolérance de fait n’a pas manqué de devenir rapidement le fer de lance des soutiens de la légalité imaginaire du fansub.

La tolérance : En route vers le monde imaginaire

Et de fait, on le comprend bien, de la passivité des distributeurs à la faiblesse des moyens utilisés, en passant par la ridicule affaire de Décembre 2004, Media Factory Inc. c/ AnimeSuki-Lunar Anime-Wannabe Fansubs, il était difficile de ne pas y voir là une succession d’effets d’annonce et de tests, jonglant entre la volonté de protéger la rentabilité de son œuvre  via son caractère onéreux et celle, plus attentiste, de l’observation sur moyen et long terme de l’élargissement de la popularité d’une œuvre par sa promotion la plus gratuite qui soit : Le fansubbing.

Pour enrayer la vague de sous-titrage des œuvres, les ayant droits et leurs prolongements professionnels avaient alors commencé à frapper dans la fourmilière, en attaquant indirectement par le marché du scantrad – la traduction de bande dessinée étrangère scannée numériquement – comme un premier signal de fumée envoyé au marché de la vidéo.

On se souvient à titre d’exemple de cette affaire douteuse, d’un adolescent originaire de Nagoya, incriminé pour publication de scans d’une centaine de manga issus des magazines Weekly Shonen Jump et Weekly Shonen Sunday, empaquetés sous forme de compilation vidéo, entre le 22 décembre 2009 et le 9 février 2010.

Et puis, finalement, c’est en Juillet 2010 que le site de scantrad le plus visité au monde, One Manga, avec ses 4,2 millions de visiteurs mensuels, ferme la porte, suite aux pressions des collectifs d’ayant droit.

Pour autant, si le parallèle est intéressant et si le signal semblait avoir été aussi envoyé en direction des équipes de sous-titrage, il paraît bien compliqué de comparer le synchronisme des deux marchés, l’un étant profondément et désormais culturellement installé dans les pays qui l’abritent – la France en tête –, l’autre se présentant finalement comme une extension du premier sur petit écran, aux mouvements encore très étriqués.

On serait ainsi tenté, devant l’abstention des éditeurs et les rares cas où les équipes de fansubbers stoppent leurs activités sur une œuvre lorsque celle-ci est proposée d’une manière efficace et officielle sur leur territoire d’origine, d’admettre cette tolérance.

Sauf que.

Ce n’est pas parce que la victime ne porte pas plainte qu’elle accepte l’agression.
Ce n’est pas parce qu’aucune action n’est intentée qu’il faut en déduire un droit. A plus forte raison que l’imprescriptibilité de l’action en contrefaçon est une arme sans limite de temps dont dispose l’auteur.

Ainsi l’illégalité juridique et la tolérance de fait sont deux antinomies qu’il est bon ton de séparer l’une de l’autre pour éviter la masturbation intellectuelle déployée par beaucoup afin de bâtir un cheval de Troie en mousse.

L’échec de la munition « simulcast » ? 

Mais parce que les exploitants officiels ne sont pas plus cons que d’autres, le parallèle à la plate-forme Open Manga créée par les petits gars de Manga Helpers côté scantrad, est rapidement arrivé pour le marché de la vidéo sous le doux nom de simulcast.  Contradiction, une nouvelle fois, de « simultaneous » et de « broadcast », le simulcast représente une diffusion simultanée d’un même contenu sur deux médias distincts. Le cas échéant, l’idée, d’une lucidité exemplaire, était d’enrayer l’impatience des amateurs du genre inhérente à l’avènement d’Internet, pour proposer en quasi-simultanéité la sortie d’une œuvre vidéo  dans le pays émetteur et, en version sous titrée, dans le pays d’accueil.

Solidement implanté aux Etats Unis, il aura fallu un peu plus de temps aux éditeurs français pour proposer le système du simulcast dans l’hexagone pour pallier au fansub, notamment des séries d’animation japonaise.  L’éditeur Dybex proposait ainsi diverses offres, de Full Metal Alchemist Brotherhood à Durarara !!, en passant par Highschool of the Dead et Dance in the Vampire Bund.
On aurait pu se réjouir des prémices des éditeurs français dans le sens de la compréhension d’une nouvelle utilisation des consommateurs cibles, mais le procédé n’a pas suffit : le 14 Octobre 2011, Kaze, via son système de simulcast Kzplay.fr, souligne la fin du procédé simulcast sur son site en raison de la colère des ayant droits suite au piratage des séries diffusées.  Dès lors, l’éditeur se devait de décaler à « plusieurs jours voire de plusieurs semaines » les diffusions initialement prévues, malgré la volonté d’origine « des ayants-droits et du groupe Kaze de fournir un service rapide et de qualité ou tous les acteurs de la chaine de création et de production d’un anime sont rémunérés pour fournir toujours plus vite le meilleur de l’animation japonaise aux fans français ».

Pour autant, faut-il s’en attrister ?

Oui, car dans le cadre de l’animation japonaise, même devant un marché en perte de croissance, l’échec du procédé simulcast risque de profondément changer la donne dans l’exportation déjà timide des entreprises de production japonaises vers les pays étrangers. En témoigne l’annonce Adam Smith, président de GDH, la maison mère de Gonzo (Romeo X Juliet, Last Exile […]), qui soulignait le décroissement de ce marché et la difficulté de s’y professionnaliser sur le long terme : « Nous avons déjà eu à réduire les budgets et demander à nos employés et nos créateurs d’accepter peu voir pas d’augmentation de leur paye afin de nous aider à survivre. »

Non, car au fond, il ne s’agissait pas tant du mécanisme (ingénieux), que sa mise en œuvre : Outre une qualité audiovisuelle particulièrement contestable lors de la mise en ligne du produit, avec des tarifs d’utilisation douteuse du service sur des périodes bien trop restreintes, la joute juridique de Kaze s’apparentait plus à une action perdue d’avance, un coup d’épée dans l’eau d’une entreprise qui, pensant relier les maillions d’une chaîne d’exploitation, semblait oublier que c’est bien la chaîne d’exploitation qui n’est plus aujourd’hui adaptée à son époque.

Dès lors, une fois l’incontestable évidence émergée, le fansub cloué au sexe des producteurs et maison d’édition,  faut-il pour autant fustiger les initiatives de par leur illégalité, sans en discuter le bien fondé ?
Parce que si la propriété intellectuelle peut en effet se définir comme un ensemble de droits exclusifs de l’auteur d’une œuvre de l’esprit sur sa création,  elle correspond aussi à une idéologie d’époque, qui non-content d’évoluer à son rythme et d’être bringuebalée entre chaque nouvelle tendance politique, s’adapte particulièrement mal à l’évolution des mœurs technologiques.

Avec une exposition plus moderne et une multiplication des canaux de diffusion, autant de streaming que de téléchargement légal et gratuit, trouvant sa rémunération dans des services annexes, le simulcast ne trouverait-il pas ici toute sa splendeur et sa légitimité ?

Car en se retrouvant à payer pour une chaine parfois inexistante, souvent abusément existante, le consommateur aura vite fait de se retourner vers sa passion première, le téléchargement illégal.

A charge aux créatifs, aux producteurs, aux avides et aux rêveurs, de penser la mise en place un système de propriété intellectuelle qui englobe à la fois le créateur et le consommateur car, au fond, le simulcast est un paracétamol temporaire à une industrie qui souffre de son déséquilibre, celui d’une obsolescence viscérale, fondatrice et incroyablement essentielle de sa propre structure juridique.

Tags: fansub, illégal, juridique, kaze, scantrad, simulcast

A propos de Nunya

Perdu entre quelques chroniques, affres juridiques et amour immodéré de transmédia, Nunya est un jeune demi-chauve optimiste et passionné de culture populaire, particulièrement bien dans son époque.